En 2006, la sortie du film "Capote" de Bennett Miller s'inscrit au regard d'une double référence: d'abord, et évidemment, le glaçant "roman de non-fiction" de Truman Capote, "In cold blood", puis le film éponyme de Richard Brooks. Pour le premier, il représente un coup de tonnerre dans la littérature américaine, effaçant le seuil entre roman et reportage: Capote, dans sa transcription d'un sordide fait-divers arrivé dans le Midwest, offre un regard intériorisé. Pour décrire les événements et les comprendre, il adopte un point de vue inédit, démultipliant les focales. Toute la narration est faite de l'intérieur, mais pas toujours du même intérieur. Le journaliste est un témoin: Capote, lui, se transportera dans l'intimité des consciences, celle de Nancy, adolescente amie d'une des victimes, celles d'Alvin Dewey, l'enquêteur, des criminels aussi. Entre répulsion et fascination, il privilégie le récit de l'un des assassins, Perry Smith, à la fois presque analphabète et avide de reconnaissance, dont le vocabulaire choisi tranche avec l'horreur des situations évoquées.
L'un des nombreux intérêts du film est qu'il retrace non pas le fait-divers, mais la façon dont Truman Capote traite avec la réalité pour la faire passer dans la presque fiction. L'écrivain ici est manipulateur. Au-delà des classiques stratégies pour obtenir des informations, il s'immisce dans l'existence de Smith, lui donnant l'occasion de devenir un héros de roman. Celui-ci, confronté à l'idée d'une mort prochaine, distille ses confidences, comptant ainsi obtenir une aide juridique de l'écrivain. Or Capote mène le jeu : entre pitié et apitoiement sur lui-même, il manoeuvre adroitement le condamné jusqu'à en tirer l'ultime secret... A partir de ce moment, le livre n'a plus besoin de Smith pour exister; cependant, nous découvrons avec étonnement l'auteur rendant visite à son personnage, peut-être pour jeter sur lui un ultime regard juste avant que la créature de papier ne prenne définitivement sa place. Mais comment interpréter ces larmes versées?
L'art de Philip Seymour Hoffman se trouve tout entier dans ces imperceptibles changements. Lorsqu'il semble compatir, Capote ne fait que calculer le rapport d'un don, d'une marque d'amitié; pourtant, quand il pourrait demeurer loin du lieu de l'exécution, il offre un dernier tête-à-tête à celui qui s'apprête à mourir. C'est une belle métaphore du rapport de l'auteur avec ses personnages. Un personnage purement fictif ne serait qu'une émanation de son auteur, un peu de lui-même, comme on dit. Capote, lui, s'est offert un vrai dédoublement, se projetant dans Perry Smith tout en se jouant de lui. D'une personne il fait un personnage, la dépouillant de sa liberté, la soumettant à un destin. D'ailleurs, vers la fin de cette histoire, Capote semble inquiet à l'idée d'une grâce possible pour les condamnés à mort. Sans cette mort, que deviendraient en effet ces personnages? Ils perdraient probablement de leur pouvoir, de leur sens: de leur intérêt. Ravalés au simple rang d'êtres vivants, ils ne viendraient plus conclure l'oeuvre, qui n'aurait plus de raison d'exister...
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