D’une blessure presque imperceptible, comme faite par une épingle à nourrice, le sang s’échappe, par gouttes odorantes qui appellent à la vie. Le flux se transporte dans le corps de l’autre, dans l’échange le plus intime du monde. Je te bois, tu m’absorbes…
Le vampire, le monstre désiré, haï, craint, espéré, est l’autre et aussi moi-même. Sa séduction absolue s’exerce depuis moins longtemps qu’on ne le croit. S’il existe des allusions au vampirisme depuis l’Antiquité, cette créature est entrée en littérature au début du XIXème siècle, portée par les élans et le désespoir des Romantiques. Lord Ruthven précède Dracula de quelques dizaines d’années ; leurs existences encadrent ce siècle d’incertitudes, de changements politiques et sociaux, comme une sombre menace. En ces temps où le corps se dissimule encore, le vampire porte un regard sur l’enveloppe comme sur le fluide que personne d’autre ne voit, rosissant à peine l’épiderme, mais que lui, l’assoiffé, subodore, convoite, attire, déguste. Il fait exister l’être charnel en exigeant de lui le don total, l’annulation, la fusion intégrale. Le vampire de Polidori exerce une séduction énigmatique et glaçante. Son corps n’est pas décrit : tout au plus en distinguons-nous les contours, l’allure aristocratique, le regard de serpent. Sa fascination est inexplicable, et Aubrey, à la fois attiré et révulsé, se contente de le surveiller de loin, impuissant même à mettre en garde les victimes à venir. Lord Ruthven demeure dans la pénombre, comme si Polidori n’avait osé donner une consistance à cette idée de monstre. Mais ce qui se joue, c’est l’amour et la mort. Ruthven, incapable d’aimer, suscite l’amour ; incapable de vivre, il dispense la mort. Le choix de ses victimes n’est guidé que par une volonté d’avilir autrui, de le précipiter dans les abîmes du péché. Il ne choisit que des âmes pures qu’il corrompt à dessein, mais sans volupté apparente. Un vampire austère, si l’on veut.
Le vampire, le monstre désiré, haï, craint, espéré, est l’autre et aussi moi-même. Sa séduction absolue s’exerce depuis moins longtemps qu’on ne le croit. S’il existe des allusions au vampirisme depuis l’Antiquité, cette créature est entrée en littérature au début du XIXème siècle, portée par les élans et le désespoir des Romantiques. Lord Ruthven précède Dracula de quelques dizaines d’années ; leurs existences encadrent ce siècle d’incertitudes, de changements politiques et sociaux, comme une sombre menace. En ces temps où le corps se dissimule encore, le vampire porte un regard sur l’enveloppe comme sur le fluide que personne d’autre ne voit, rosissant à peine l’épiderme, mais que lui, l’assoiffé, subodore, convoite, attire, déguste. Il fait exister l’être charnel en exigeant de lui le don total, l’annulation, la fusion intégrale. Le vampire de Polidori exerce une séduction énigmatique et glaçante. Son corps n’est pas décrit : tout au plus en distinguons-nous les contours, l’allure aristocratique, le regard de serpent. Sa fascination est inexplicable, et Aubrey, à la fois attiré et révulsé, se contente de le surveiller de loin, impuissant même à mettre en garde les victimes à venir. Lord Ruthven demeure dans la pénombre, comme si Polidori n’avait osé donner une consistance à cette idée de monstre. Mais ce qui se joue, c’est l’amour et la mort. Ruthven, incapable d’aimer, suscite l’amour ; incapable de vivre, il dispense la mort. Le choix de ses victimes n’est guidé que par une volonté d’avilir autrui, de le précipiter dans les abîmes du péché. Il ne choisit que des âmes pures qu’il corrompt à dessein, mais sans volupté apparente. Un vampire austère, si l’on veut.
Le désir et le plaisir semblent pourtant indissociables du vampirisme. Carmilla, le vampire saphique de Le Fanu, en est l’illustration – une sorte d’anti-Ruthven : elle aime, d’un amour interdit puisque l’objet de son amour est Laura, qu’elle idolâtre, révère au point de ne plus la quitter. Les manifestations du vampirisme sont extérieures, marques étranges sur le corps, sensations mystérieuses ; Laura s’éteint pendant que croît l’amour de Carmilla. Etrange destin du vampire condamné à mourir ou à faire mourir d’amour…
…Un amour total, puisque le vampire se concentre à la fois sur l’âme et sur le corps… Alors naît le fantasme ! Enveloppé d’une aura maléfique comme dans sa cape noire, le vampire s’installe pour longtemps dans l’imaginaire collectif. Dracula, ce monstre sans foi ni loi, condamné pour des actes barbares à ne pas mourir, n’engendre que peur et dégoût chez Bram Stoker. Placé dans une zone au dehors, extérieure à tout puisqu’elle n’est ni la vie, ni la mort, il cherche à attirer dans ce hors temps d’autres damnés pour peupler sa solitude. Dans le roman, Mina ne tombe pas sous le charme - d’ailleurs, le comte Dracula n’essaie pas de séduire, mais de piéger, comme un animal de proie. Et ses avatars sont nombreux : loup, créature simiesque, chauve-souris… Le monstre ne peut être tout à fait humain : il synthétise l’animalité de ceux qui ont été ses semblables, en joue, adapte ses formes à l’enjeu. Dracula, est celui qui, au-delà de l’humanité, de l’espace et du temps, se meut en liberté. Son corps se transforme, se déplace à volonté, libre de toute emprise. Cette totale indépendance fait de lui un monstre, puisque pour vivre il ne peut ni ne veut se conformer aux usages sociaux. Dracula comme figure de l’anarchie ? Peut-être pas, mais il porte en lui à la fois destruction et liberté.S’insinuant en ses victimes, il les laisse pantoises, comme après un viol. Le plaisir n’a pas été partagé, et ses assauts répétés détruisent l’âme et le corps. Du devenir de Lucy nous ne saurons rien, si ce n’est qu’elle a été vampirisée. L’idée de la voir monstre elle aussi est insupportable – Stoker nous évite la corruption absolue de cette jeune fille un peu trop sensuelle.
…Un amour total, puisque le vampire se concentre à la fois sur l’âme et sur le corps… Alors naît le fantasme ! Enveloppé d’une aura maléfique comme dans sa cape noire, le vampire s’installe pour longtemps dans l’imaginaire collectif. Dracula, ce monstre sans foi ni loi, condamné pour des actes barbares à ne pas mourir, n’engendre que peur et dégoût chez Bram Stoker. Placé dans une zone au dehors, extérieure à tout puisqu’elle n’est ni la vie, ni la mort, il cherche à attirer dans ce hors temps d’autres damnés pour peupler sa solitude. Dans le roman, Mina ne tombe pas sous le charme - d’ailleurs, le comte Dracula n’essaie pas de séduire, mais de piéger, comme un animal de proie. Et ses avatars sont nombreux : loup, créature simiesque, chauve-souris… Le monstre ne peut être tout à fait humain : il synthétise l’animalité de ceux qui ont été ses semblables, en joue, adapte ses formes à l’enjeu. Dracula, est celui qui, au-delà de l’humanité, de l’espace et du temps, se meut en liberté. Son corps se transforme, se déplace à volonté, libre de toute emprise. Cette totale indépendance fait de lui un monstre, puisque pour vivre il ne peut ni ne veut se conformer aux usages sociaux. Dracula comme figure de l’anarchie ? Peut-être pas, mais il porte en lui à la fois destruction et liberté.S’insinuant en ses victimes, il les laisse pantoises, comme après un viol. Le plaisir n’a pas été partagé, et ses assauts répétés détruisent l’âme et le corps. Du devenir de Lucy nous ne saurons rien, si ce n’est qu’elle a été vampirisée. L’idée de la voir monstre elle aussi est insupportable – Stoker nous évite la corruption absolue de cette jeune fille un peu trop sensuelle.
Mais le cinéma, lui, s’empare de cet aspect qu’il rend primordial ! Autant le roman suggère, autant le cinéma se doit de montrer. Le vampire, apparu si tardivement dans l’univers littéraire, s’impose immédiatement dans le septième art. Incarnation du Mal née de la semence de Bélial, corps voué à donner la mort, peste se diffusant perfidement dans un cortège de rats, pantin disgracieux et raide, le Nosferatu de Murnau, dans son esthétique expressionniste, est peut-être repoussant, terrifiant, effrayant depuis l’ombre sur le mur blanc de ses doigts crochus, mais sa morsure est douce, presque un baiser… Sa main , quand il s’abreuve, repose délicatement sur le sein de la victime innocente qui s’offre en sacrifice, la caressant de son ombre malfaisante. Mort et désir sont ici confondus, et la proie se pâme de terreur mais aussi de plaisir. Le vampire sème l’effroi, mais sa séduction se fait de plus en plus grande, pour culminer, sans doute, avec le double visage du Dracula de Coppola. Vlad l’Empaleur est aussi Vladimir de Sakai ; il a choisit cette demi-vie ou cette demi-mort par fidélité à celle qu’il aime éperdument au-delà des siècles. Une damnation choisie, mais qui le rend plus humain que ses prédécesseurs. Mina ici est amoureuse du monstre, c’est certain, elle le préfère au fade Harker, son mari. Le monstre est capable d’aimer, de respecter celle qu’il a élue. Pour la préserver, il se nourrit d’autres proies. Lucy, qu’il a choisie pour épargner Mina, ne souffre pas ; Dracula s’abreuvant à son cou caresse son corps de son ombre, la mort qui s’avance s’annonçant par le plaisir.
Le vampirisme s’érotise ; mais quoi de plus normal ? L’échange des fluides est le don absolu ; Mina offre son sang pour la vie de Dracula et celui-ci lui propose le sien en gage d’immortalité. Ici l’amour, un amour à la fois pur et charnel, ose braver la mort et briser les lois du destin: ce don réciproque est aussi un orgasme, petite mort mais promesse de vie, qu’on soit vampire ou pas ! Malgré la terreur qu’il inspire, le vampire porte en lui tout ce que le commun des mortels envie : immortalité, puissance, séduction. Il est à la fois la mort et la vie éternelle, l’âme et le sexe : une totalité ! Condamné par l’église à l’errance éternelle, il reproduit aussi la communion originelle, celle qui fonde le christianisme : « Buvez, ceci est mon sang »…