Anselm Kiefer, Tannhaüser

Anselm Kiefer, Tannhaüser
Musée Würth, Erstein, mai 2009 (photo personnelle)
Un seuil est inquiétant. Il matérialise une frontière, marque la séparation avec un ailleurs, lieu encore non pénétré, inconnu, menaçant ... mais si attrayant! La femme de Barbe-Bleue est prête à tout pour le franchir, consciente cependant du danger qui la guette.
Un seuil est une limite imperceptible: un pas, et l'on est déjà de l'autre côté. Être au seuil de la vieillesse, c'est flirter avec elle tout en espérant toujours rester du bon côté. Il y a des seuils qu'on voudrait des murailles...
Certains seuils pourtant sont franchis sans qu'on s'en aperçoive, tellement ils savent se faire discrets. Mais ceux-ci ont presque disparu: le seuil survit-il à son franchissement?
Zone de rencontre, le seuil est aussi ouverture: menant parfois vers l'inconnu, il permet le contact, rend proche ce qui semble ne pouvoir se toucher. Un seuil est un frôlement: d'ailleurs, comment définir ce qui appartient encore à la vie et ce qui est déjà la mort? Du seuil, un souffle nous parvient, on respire l'air d'ailleurs.La vie nous fait franchir des seuils, ou tout juste empiéter sur eux. Ils nous repoussent ou nous fascinent.
Les seuils organisent nos déplacement, nous attirent d'un monde à l'autre, séparations fictives ou dérisoires: on croyait être ici, on est au-delà.

jeudi 9 août 2012

Pour Chris...




Val de Mesolcina, Mater de Paia

Se réveiller dans la peine, et ressusciter ce blog, c’est quelque chose que je te dois, Chris, mon bouquetin solitaire, toi qui es si profond, si généreux, si tourmenté aussi. Ta jeunesse m’a contaminée et tu m’a aidée dans des moments très difficiles, tu m’as communiqué tes passions et es devenu mon guide, de lecture en lecture, de musique en film… Je ne pourrai partager ici tout ce que nous avons vécu ensemble, dans l’intensité, le rire, dans l’affection fraternelle qui s’était créée entre nous. Ce serait indécent. Pourtant, il était question d’amour, un amour né de notre passion commune pour les livres. Tes lectures m’impressionnaient par leur profondeur et leur finesse, mais depuis quelques mois tu te consacrais à cette maîtresse dévorante, la montagne. Tu m’en parlais avec fougue, et même, drôle d’idée, tu m’y as entraînée quelquefois.

La montagne, tu lui as tout donné ; je lui en veux mais sais aussi qu’elle t’a rendu heureux. C’est elle que tu as vue en dernier – tu me disais qu’elle était comme une femme pour toi. Tu es mort d’amour, je crois.

Je te dois tout ce qui fait ma vie d’aujourd’hui, le bonheur de rencontres magiques, un choix de vie qui se concrétise et qui te sera dédié. Tu es là, pour toujours, et je repense à ces jours passés ensemble, à ces textes écrits à quatre mains. Tu m’as fait comprendre que la lecture n’était pas un acte solitaire, mais qu’elle suscite le plus beau des partages…

Ce billet naïf est tout ce que je peux écrire aujourd’hui, je ne suis capable de rien d’autre, pétrifiée dans le chagrin que j’éprouve. Je ne cesserai de penser à toi, tu as rejoint peut-être maintenant un autre homme que j’aimais et pour qui j’ai commencé ce blog – l’écriture naît de la douleur, je crois.



Je veux te dire combien je t’aime, d’une affection de grande sœur qui jamais ne se démentira. Je veux aussi te remercier, tu m’as fait revivre et tu continueras à vivre à travers moi et tous tes amis à qui je dédie aussi ce texte, désespérée d’avoir dû leur communiquer une telle nouvelle.



Voilà, Chris – bouquetin, c’est court, mais je ne peux trouver d’autres mots pour l’instant.



Non, pour finir, deux textes qui me font penser à toi : tout d’abord cette phrase de Mervyn Peake que tu avais choisie comme devise :

To live at all is a miracle enough.


Et puis Ramon Sender… La Sphère, ce livre que tu m’as offert, me ramène à toi et voilà ce que j’y lis :

Il sentait que tout se passait hors de lui, comme dans la vie extérieure, comme dans la nature. « C’est ainsi qu’il doit en être, parce que la vie intérieure n’est rien d’autre que la vie extérieure dans son essence ». Rien ne se perd ; toute chose veut s’enraciner dans la transcendance, en traversant son non-être temporel jusqu’à un stade de présence absolue.




Cette présence absolue est la tienne, à jamais. Je t’aime, Christophe, mon petit frère que je ne verrai plus, dont je n’entendrai plus la voix rieuse et douce…



Chris en rando au-dessus du lac d'Emosson (Vs), photo personnelle
Christophe Martinez (Edwood, de La Taverne du Doge Loredan) a fait une chute mortelle en montagne, dans les Grisons, au Val Mesolcina, en redescendant le Mater de Paia. Cela s'est passé le 22 juillet 2012 et je ne l'ai appris qu'aujourd'hui. Je sais que vous serez nombreux à penser à lui et à le garder dans vos coeurs.

PS : s'il vous plaît, ne partagez pas cet article sur un réseau social (facebook ou autre) car Chris avait choisi de s'en tenir éloigné depuis l'an dernier. Mais il est possible de laisser ici un petit souvenir de lui, enfin, si vous le souhaitez.
Posted by Picasa