vendredi 25 décembre 2009

Lit de neige

Anselm Kiefer, Claudia Quinta, 2004(photo personnelle)


Les yeux, aveugles au monde, dans le mouroir d'à-pics : je viens,
dur plant au coeur.
Je viens.

Falaise miroir de lune. Chute.
(Lueur tachée de souffle. Sang épars sur zones étroites.
Âme se dissipant en formation nuageuse, une fois encore proche de la configuration nette.
Ombre décadigitale - position crispée.)

Les yeux aveugles au monde,
les yeux dans le mouroir d'à-pics,
les yeux les yeux :

Le lit de neige sous nous deux, le lit de neige.
Cristal après cristal,
treillagées dans des grilles à profondeur de temps, nous tombons,
nous tombons et gisons et tombons.

Et tombons :
Nous étions. Nous sommes.
Nous ne faisons qu'une chair avec la nuit.
Dans les couloirs, les couloirs.

Paul Celan, Grille de parole, 1959 (traduction de Jean-Pierre Lefebvre)

Les flots du Tibre emprisonnant le navire sur lequel voyage la vestale Claudia Quinta semblent n'entretenir aucun rapport avec les neiges de Celan. J'ai choisi cette illustration en raison du lien quasi indissociable entre Anselm Kiefer et le poète : ici, l'idée de pureté joint les deux oeuvres, à travers la vierge Claudia, la neige, le cristal, la netteté...

2 commentaires:

  1. C'est un très beau poème que tu sors de l'ombre Anne-Françoise. Et si le recueil est peut-être moins connu que pavot et mémoire ou la rose de personne, ce poème a indéniablement quelque chose de fort et de difficile à dire - comme tous les grands poèmes de Celan. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais je trouve qu'il y a comme un coïncidence (la pureté, peut-être, comme tu le dis, mais aussi sans doute autre chose d'ineffable) entre le texte et l'oeuvre que tu as choisie pour l'accompagner

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  2. Merci Yoann... Moi non plus, je ne peux expliquer vraiment pourquoi j'ai choisi cette oeuvre (peut-être d'abord parce que je l'ai photographiée, que c'est vilain, au musée Würth à Erstein, et que je ne voulais pas utiliser de banal paysage enneigé). Il y a entre Celan et Kiefer des correspondances recherchées par le peintre, puisqu'il a beaucoup travaillé à partir de sa poésie. J'ai fait plus bas deux textes qui en parlent un peu (petite pub au passage!)
    Il émane aussi de ce tableau une sorte de désolation qui lie les deux oeuvres (et bien d'autres choses, je m'en aperçois).
    L'oeuvre de Celan me hante, me transperce...

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